Par Eric Pelletier
À une époque où nous connaissons tous des changements technologiques sans précédent dans nos vies – et où nous disposons d’appareils qui mettent un univers de connaissances et de divertissements au bout de nos doigts – nous sommes à même de nous questionner sur l’avenir de la bibliothèque telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Certains pourraient penser que l’arrivée d’espaces virtuels où nous pouvons socialiser dans un monde créé de toute pièce sonne le glas de la bibliothèque physique, mais ce n’est certainement pas le cas. Malgré qu’au cours des vingt dernières années, les bibliothèques ont subi d’importants changements, leur importance dans le futur n’est pas proscrite. Lieux d’échange, de rencontre, d’apprentissage et de découverte, elles seront plus nécessaires et pertinentes que jamais au sein de nos communautés, et c’est particulièrement vrai dans le contexte de notre réalité postpandémique.
Une période de transition marquée par de nombreux défis
Graduellement, la bibliothèque s’est métamorphosée en un lieu ouvert, démocratique, pluriel. D’avoir eu l’opportunité au cours de ma carrière d’être témoin de cette transformation, soulève en moi plus que jamais, l’ampleur de la tâche à chaque nouveau projet. Construire une bibliothèque n’est pas chose facile. C’est un exercice qui exige une réflexion poussée sur le rôle de l’architecture et le lien qui unit un lieu à sa communauté ; qui nous invite à faire preuve de sensibilité pour aborder les différents contextes où la bibliothèque agira comme catalyseur urbain. Nous devons faire en sorte que les bibliothèques transcendent leur fonction première pour devenir des vecteurs d’animation collective et, pour ce faire, nous devons nous assurer que chaque personne s’y sente confortable.
Jamais le monde de la culture et de l’information n’a été aussi accessible et la bibliothèque témoigne de notre évolution sociétale face à ce changement de paradigme. Elle demeure le lieu public par excellence, une porte d’accès à notre culture et, bien souvent, le point de convergence de nos communautés. Pour les jeunes et les moins jeunes de tous horizons, elle est encore un espace de rassemblement et d’échange, d’interaction et de découverte. C’est ce qui fait la beauté et le caractère universel de ce lieu, mais aussi sa complexité. Au sein de nos communautés, les bibliothèques ont en quelque sorte remplacé le parvis des églises. Cela exige de la part de ceux qui sont appelés à les concevoir un regard profond sur le sens qu’elles peuvent véhiculer, mais encore plus une grande sensibilité à ceux qui les utiliseront.
Le troisième lieu : un modèle à redéfinir
Puisque chaque nouveau projet culturel offre l’occasion de pousser les limites du modèle un peu plus loin – de réfléchir aux mécanismes d’appropriation des communautés, aux possibilités d’accès et d’animation – il nous faut aussi penser à la redéfinition du rôle des bibliothèques. Ces « troisièmes lieux », notion développée par le sociologue Ray Oldenburg dans les années 1980, sont devenus des espaces d’interaction centrés sur l’humain. Depuis trente ans, le modèle de la bibliothèque classique, à mi-chemin entre un lieu d’entreposage et un espace de lecture, a rapidement évolué.
De la bibliothèque de quartier à la bibliothèque centrale, en passant par la bibliothèque scolaire, elles se sont adaptées à cette nouvelle vision du tiers lieu. Elles sont plus accessibles que jamais, résolument tournées vers leurs usagers. « Le livre va tuer l’édifice », avait prédit Victor Hugo. Aujourd’hui, pourtant, le livre a toujours besoin d’un lieu physique chargé de sens pour exister, et ce, malgré l’omniprésence du numérique. Lors de la réalisation de la Bibliothèque de Charlesbourg en 2006 je me souviens que nous devions prévoir la croissance des collections, tout comme à la Grande bibliothèque, conçue 6 ans plus tôt. Toutefois, sept ans plus tard, à la Bibliothèque du Boisé, le taux de croissance s’était stabilisé. La rénovation de certaines bibliothèques nous amène maintenant à réfléchir à la décroissance documentaire, véritable indicateur du changement constant auquel font face nos bibliothèques.
Les bibliothèques d’aujourd’hui
En dépit des avancées rapides du numérique – qui auraient pu, comme plusieurs le craignaient, annoncer la fin de la bibliothèque et du livre tels que nous les connaissons – les bibliothèques sont appelées à jouer un rôle essentiel dans la compréhension de notre nouveau monde.
Ainsi, les bibliothèques ne sont plus de simples lieux d’entreposage : elles sont aussi des lieux de création et de traitement de l’information. Au fil du temps, elles se sont décloisonnées afin d’accueillir un nombre croissant de nouveaux usagers et de revêtir de nouvelles significations. Elles permettent désormais aux membres de la communauté d’échanger et d’apprendre les uns des autres, de se connecter à d’autres institutions et de profiter d’espaces qui favorisent la créativité et l’innovation. Certaines d’entre elles comprennent maintenant des lieux de rassemblement et des espaces sociaux, comme des cafés, de même que des espaces de diffusion, des ateliers collaboratifs numériques (Fab Lab) ou encore des jardins intégrés. Avec cet éventail d’activités élargi, les bibliothécaires doivent assumer de nouveaux rôles, qui en plus de s’occuper de la gestion des archives et des collections, assurent maintenant la gestion quotidienne de ces nouveaux espaces.
Les bibliothèques de demain
Durant les deux dernières années, la frontière entre le premier lieu (celui que nous habitons) et le second lieu (celui où nous travaillons) s’est estompée de manière radicale. Tout porte à croire que le troisième lieu subira lui aussi d’autres transformations, encore une fois en réaction aux nouvelles réalités de notre époque. La bibliothèque sera plus que jamais un carrefour de socialisation, d’apprentissage et d’engagement. Dans cette optique, la conception des bibliothèques devra favoriser et encourager leur utilisation en façonnant leurs espaces et en renforçant leurs liens avec la communauté.
Que ce soit par la construction de nouvelles bibliothèques ou la rénovation et le réaménagement de bibliothèques existantes, nous avons appris que ces espaces pouvaient représenter pour nous bien plus que ce que nous pensions auparavant. Si la Grande Bibliothèque demeure la « maison mère », d’autres sont venues compléter l’offre en se rapprochant de leurs communautés respectives. De la Bibliothèque de Montmagny au cœur de la ville à celle du Boisé sur un boulevard urbain, nos réalisations ont su tisser des liens tangibles avec les personnes qui leur donnent vie. Les prochaines nous demanderont certainement de porter notre regard sur l’avenir qui se dessine à l’horizon, et peut-être même de rivaliser avec les bibliothèques du métavers… Quoi qu’il en soit, un fait demeure : notre travail sera toujours empreint de sensibilité et d’une volonté de les rendre tangibles et conçues pour les usagers ; des lieux de convergence, d’échange et de diffusion.
Au cours d’une carrière échelonnée sur plus de 30 ans, Eric Pelletier a réalisé une grande variété de projets empreints de sensibilité et de poésie, qui ont tous un point en commun : une approche centrée sur l’expérience de l’usager et du lieu. Sa facilité d’adaptation aux changements et sa créativité reconnue font de lui un concepteur attentif, inclusif et inspiré. Au cours de sa carrière comme concepteur principal et directeur de projet, Eric a développé une expertise en projets culturels et institutionnels. Responsable de plusieurs mandats distinctifs, il prône une architecture mesurée, soignée et porteuse.