• 25 février 2022

En tant que concepteurs, nous avons la responsabilité de créer des lieux équitables, où chacun peut se sentir inclus et développer un sentiment d’appartenance. C’est le fondement même des espaces bien conçus, où les valeurs humaines sont placées au cœur des différentes dimensions de l’environnement créé. Ceci signifie que nous devons nous assurer que tous les groupes sous-représentés participent activement au processus de création des lieux qui leur sont destinés, afin d’assurer que leur histoire, leur culture et leurs expériences soient considérés.

En l’honneur du Mois de l’histoire des Noirs, qui constitue une occasion de réfléchir et de nous sensibiliser à la culture, au patrimoine, aux contributions et aux réalisations des Noirs, nous nous sommes entretenus avec Gail Shillingford afin d’explorer ce qu’est un espace inclusif et comment la participation publique, l’architecture et le design urbain peuvent être réimaginés pour créer des espaces plus inclusifs et mieux adaptés pour les communautés noires.

Qu’est-ce qu’un espace inclusif de la communauté noire ?

Une question similaire a été posée par un panel d’étudiants lors d’une conférence de la SCUP¹ à laquelle j’ai assisté il y a quelques années. Ils avaient demandé à une table ronde de designers et d’éducateurs si l’espace pouvait être conçu de manière à être inclusif pour les communautés noires. J’ai commencé à me demander à quoi ressemblait un espace qui reflète l’identité noire, et si je pouvais lui attribuer des caractéristiques physiques ou conceptuelles.

Je ne pense pas qu’il existe de définition spécifique, tout comme il n’existe pas de définition universelle de la culture, de l’héritage, des origines ou de l’identité  » noire « . Ces notions ne s’insèrent pas aisément dans des petites cases ni dans une liste de critères préétablis. Pour moi, c’est une question d’engagement. Pour pouvoir comprendre l’espace noir, il faut s’en remettre aux parties prenantes de l’espace en question.

Un espace inclusif de la communauté noire est un endroit où une personne noire n’a pas l’impression d’avoir besoin d’une permission pour y être ou pour y ressentir un sentiment d’appartenance. En tant que personne noire, j’ai personnellement fait l’expérience de ce type de malaise, de ce sentiment de devoir regarder par-dessus mon épaule et ce, à plusieurs occasions. Un voile se pose sur nous instantanément. Un voile qui nous sert de protection, tout en nous rappelant que nous c’est à nous de nous adapter à ces endroits où personne ne nous ressemble.

Un espace inclusif réussi crée un sentiment d’inclusion pour tous.

Comment pouvons-nous aborder la conception de l’espace noir ?

Tout commence par l’engagement, la création d’un dialogue. Parlez aux gens. Demandez-leur, aux jeunes et aux vieux, ce qu’ils veulent. Qu’est-ce qui est important à leurs yeux ? Apprenez à connaître la communauté pour laquelle vous concevez votre projet. Passent-ils beaucoup de temps assis sur leur balcon ? Comment les liens sociaux se tissent-ils dans leur communauté ? Qu’est-ce qui leur permettrait de se sentir mieux représentés et inclus dans le nouvel environnement projeté ?

Concevoir des espaces inclusifs signifie créer des espaces qui leur sont confortables et alors, comment faire pour qu’ils s’y sentent à l’aise ? La réponse : en y incorporant des dimensions, des échelles et des éléments familiers. Il peut s’agir de symboles qui évoquent notre histoire ou nous représentent, et ceci ne vaut non seulement pour les communautés noires, c’est vrai pour toutes les communautés.

Y a-t-il un endroit qui, selon vous, est un exemple réussi d’espace inclusif de la communauté noire?

Un exemple de lieu réussi serait le parc Joel Weeks² dans l’East End de Toronto, un projet pour lequel j’ai eu l’occasion de faciliter le processus de consultation avec la communauté. L’emplacement du parc est unique dans la mesure où il se trouve au cœur d’un quartier qui s’embourgeoise rapidement et qui regroupe une communauté existante d’immigrants avec des familles nombreuses, ainsi que de nouvelles familles qui y emménagent, à revenus moyens ou élevés.

Notre approche de conception a commencé par des séances de consultation auprès des voisins du parc, afin de comprendre comment l’espace pourrait les représenter et répondre à leurs aspirations. Nous voulions que chacun se sente le bienvenu. Nous nous sommes rapidement rendu compte que de nombreuses familles du quartier aimaient se retrouver et échanger avec d’autres familles directement dans la rue et qu’elles appréciaient s’asseoir sur l’herbe au soleil, les arbres, le jardinage, l’art et l’eau. Les enfants du quartier ne souhaitaient pas de terrains de soccer ou de tennis mais voulaient plutôt pouvoir patauger dans l’eau, courir et dessiner à la craie sur le trottoir dans un environnement sûr et de qualité. Les jeunes voulaient jouer au basket-ball, ce qui signifiait que les terrains délabrés existants devaient être réaménagés. Les aînés cherchaient des endroits pour faire de l’exercice, cultiver des légumes et apprécier les fleurs et la nature – des activités qui leur étaient familières du fait de leur enfance.

À quoi ressemble l’avenir du design inclusif pour les communautés marginalisées ? Comment pouvons-nous travailler à créer des villes plus inclusives ?

L’inclusivité des villes passe nécessairement par l’équité. Chacun devrait avoir accès à un espace de qualité au sein duquel il peut développer un sentiment d’appartenance. Nous constatons trop souvent une énorme disparité dans la qualité de l’aménagement pour les communautés à faibles revenus et les minorités. Il est essentiel de s’attaquer à cette disparité pour garantir que chacun ait accès à un espace de qualité, quel que soit son statut socio-économique.

En tant que concepteurs, nous devons nous rapprocher de la communauté et comprendre réellement ce qui est important pour ses membres. Pour ce faire, il faut aller faire la connaissance et développer des liens authentiques avec les personnes pour qui on conçoit le projet. Si les sondages ont leur place dans le processus, je trouve qu’ils ont toutefois tendance à maintenir une certaine distance avec la communauté.

Le désir de franchir les étapes et d’obtenir les approbations voulues sans engagement tangible et significatif est tentant mais à éviter. Le processus de consultation devrait comprendre un dialogue avec la communauté à trois étapes distinctes : avant, pendant et après la réalisation du projet. Après les premiers contacts en amont du projet, il est en effet plus que souhaitable de retourner vers la communauté à mi-parcours ainsi qu’à la fin du projet pour s’assurer que la vision initialement retenue soit bel et bien respectée. Trop souvent, on néglige cette étape cruciale qui nous permet d’évaluer si, en tant que concepteurs et facilitateurs, nous avons réussi à créer un espace qui représente les usagers du projet, ainsi que leur vision et leur culture.

Il peut être très gratifiant de visiter un projet une fois qu’il est terminé, et de voir à quel point la communauté se l’approprie. Ne pas y retourner et prendre le temps de vérifier si nous avons réussi ou non est une occasion manquée de concevoir de façon responsable. C’est l’occasion d’apprécier notre réussite ou encore d’apprendre de nos erreurs et de réajuster le tir pour l’avenir grâce à cette expérience nouvellement acquise.

 

Cliquez ici pour lire  » Vérité et réconciliation : le point de vue d’une conceptrice » pour en savoir plus sur la manière dont le design nous offre la possibilité de promouvoir la sensibilisation et l’éducation culturelles, et de célébrer nos différences, par le biais de l’engagement.

 

¹: Society for College and University Planning (SCUP) 

²: Un projet de Janet Rosenberg and Associates

 

Gail Shillingford

Forte de plus de 25 ans d’expérience en design urbain et en architecture de paysage, Gail Shillingford détient un solide bagage et des talents rassembleurs qui lui ont permis de créer avec succès des lieux  intégrés et équilibrés. En tant qu’associée et directrice principale de projet chez Lemay, elle s’engage à renforcer les collectivités et à créer des espaces publics attrayants qui favorisent la socialisation, l’inclusion, la diversité culturelle et un mode de vie sain. Dans chacune des conceptions qu’elle entreprend, le rôle du domaine public est amplifié pour devenir un moyen de rassembler les gens, de revitaliser les communautés, de promouvoir le développement durable et la résilience, et de concevoir des espaces publics en tant que catalyseurs socioéconomiques. Gail anime en outre des forums sur la diversité, l’équité et l’inclusion, tout en poursuivant le développement de ses connaissances des nations autochtones afin de favoriser l’émergence de la vérité et de la réconciliation.