Dans un monde où tout va très vite, les espaces que nous habitons et fréquentons ont un impact de plus en plus grand sur notre bien-être. Designers et architectes portent une attention accrue à la manière dont est conçu l’environnement bâti, intégrant des stratégies comme la biophilie pour améliorer le confort et la qualité de vie des usagers.
Malgré ces avancées, une préoccupation importante, mais souvent négligée subsiste : la surcharge sensorielle. Des rues animées de nos villes à nos lieux de travail, de résidence et de loisirs, les stimuli qui nous entourent ne cessent de croître, influençant considérablement notre santé mentale. Même si certains évoluent facilement dans ce genre de contexte effervescent, d’autres y sont particulièrement vulnérables. C’est notamment le cas des personnes autistes qui, de façon générale, éprouvent des difficultés à traiter les informations sensorielles. L’exposition à un excès de bruits, d’odeurs, de couleurs ou de textures peut entraîner chez elles une foule de réactions allant des crises d’anxiété et de colère jusqu’à l’effondrement ou le repli autistique.
La compréhension de ces signes et de leurs éléments déclencheurs est donc essentielle pour offrir des milieux de vie véritablement inclusifs qui reconnaissent la neurodiversité. Mais comment l’appliquer au processus de conception?
Le pouvoir transformateur du design neuro-inclusif
Tenant compte des différentes sensibilités perceptives, le design neuro-inclusif conjugue logique spatiale et compatibilité sensorielle à travers un espace respectueux des besoins des personnes neurodivergentes.
Le Centre Lise et Yvon Lamarre, dont la mission est d’offrir de l’hébergement et des activités de jour aux jeunes adultes autistes, illustre bien cette approche. Issue d’une étroite collaboration entre notre équipe et la Fondation Lamarre, sa conception intègre les conclusions d’une recherche exhaustive que nous avons menée ensemble pour former un environnement parfaitement adapté à l’hyper- et l’hyposensibilité des usagers.
Élément central de notre approche, la fragmentation sensorielle permet d’établir une hiérarchie entre chaque pièce, allant des stimuli faibles aux stimuli élevés. Elle assure aux résidents une prévisibilité et une progression tout en douceur depuis leur chambre-cocon jusqu’aux aires partagées, plus stimulantes. Cette séquence est structurée autour de quatre « fragments architecturaux » : les maisonnettes, les espaces de transition, les espaces communs et les espaces extérieurs. De la palette chromatique à la matérialité en passant par la fenestration et l’éclairage, rien n’a été laissé au hasard. Chaque élément de design a été pensé en fonction des sens, dans une volonté de créer un cadre apaisant et des points de repère rassurants. Même les seuils et les angles ont été adoucis afin de limiter les changements brusques et l’effet de surprise lors des déplacements.
À l’extérieur, notre équipe a appliqué ces mêmes moteurs de conception à l’aménagement paysager. Formant une succession d’expériences haptiques et acoustiques, chaque zone intègre un aspect sensoriel dans un parcours de découverte qui s’intensifie progressivement. Contrairement aux espaces intérieurs, elles ont pour vocation non pas d’apaiser les sens, mais de les solliciter à différents degrés. L’ensemble fournit un lieu d’apprentissage et de développement qui englobe toutes les caractéristiques cognitives et comportementales des personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme. On y trouve notamment un parc de jeux d’eau, un jardin zen, des plantes aromatiques, des mangeoires à oiseaux, un mur texturé ainsi qu’un potager et un pré fleuri. Des aires de transition ponctuent également le tracé de manière à offrir un répit entre les zones passives, semi-passives, semi-actives et actives.
Des milieux de vie inclusifs pour des villes plus accueillantes
La segmentation sensorielle de ces environnements, cumulée à la compartimentation des aires privées et communes, influence positivement les comportements et le bien-être général. Au-delà du contrôle des stimuli, des interactions sociales et du niveau d’intimité, elles offrent des opportunités de choix qui soutiennent la dignité, l’autonomie et la participation à la vie communautaire. Les bienfaits qui en découlent profitent aussi bien aux résidents et à leurs proches qu’au personnel accompagnant et à la collectivité.
Les principes d’aménagement et de conception au cœur du Centre Lise et Yvon Lamarre peuvent s’étendre à une variété d’espaces résidentiels, commerciaux et publics, à travers des interventions qui tiennent compte de la neurodiversité :
- l’ajustement de la ventilation, du chauffage et de l’éclairage pour limiter la surstimulation;
- la mise en place d’espaces d’apaisement où se ressourcer après un moment de stress;
- une palette de couleurs minimaliste, cohérente et apaisante, exempte de distractions visuelles;
- des matériaux qui absorbent les sons pour minimiser les échos et la réverbération;
- des aires structurées pour réduire l’imprévisibilité.
En intégrant ces stratégies à l’échelle de nos bâtiments, de nos quartiers et de nos villes, nous veillons non seulement à ce que les personnes neurodivergentes se sentent accueillies et impliquées dans tous les aspects de la vie urbaine, mais nous contribuons aussi à créer des milieux sains, confortables et bienveillants. En ce sens, le design neuro-inclusif a une portée beaucoup plus grande que l’on croit. Imaginez tous les effets positifs que nous pourrions produire si cette approche devenait la norme!