En tant que concepteurs, nous sommes les gardiens d’un monde bâti sur des générations de savoir-faire et de culture. Les structures de notre passé qui subsistent aujourd’hui témoignent de qui nous sommes et d’où nous venons, et elles continueront de raconter notre histoire longtemps après notre disparition.
Ces dernières années, face au nombre croissant d’églises désaffectées et abandonnées, plusieurs se sont demandé si celles-ci ne devraient pas être reconverties et, le cas échéant, sous quelle forme. En raison de la baisse de fréquentation et des coûts colossaux engendrés par les travaux d’entretien, de rénovation et de revitalisation, nombre de ces bâtiments de plusieurs siècles sont aujourd’hui délaissés. Tandis que les fenêtres se brisent, les fondations se fissurent, les boiseries sculptées craquent et la nature commence à reprendre ses droits sur le paysage, une course contre la montre s’engage pour protéger ces lieux sacrés de la décrépitude et de la démolition.
Nous avons la ferme conviction que les églises, tout comme la valeur patrimoniale qu’elles recèlent, doivent être préservées. À l’image des bibliothèques, elles traversent actuellement une période de transition. Les églises ont ainsi la possibilité de conserver leur rôle de sanctuaires, mais pas uniquement au sens traditionnel du terme. Elles peuvent être repensées et réaménagées d’une manière qui leur donne une nouvelle utilité, tout en leur permettant de renouer avec leur vocation initiale par des approches inédites.
Des possibilités infinies
Au lieu de démolir les églises et de rejeter leur carbone intrinsèque dans l’environnement, de nombreuses solutions s’offrent à nous – l’option la plus durable étant d’utiliser le bâti existant plutôt que de reconstruire à neuf. Nous pouvons préserver et célébrer les qualités architecturales de ces lieux tout en les réinterprétant sous un angle radicalement différent. Conserver l’architecture patrimoniale est important, car cela permet de maintenir en vie la mémoire culturelle, l’identité et l’énergie de l’espace. Mais il ne s’agit là que d’une couleur parmi la vaste palette de nuances que nous pouvons choisir pour peindre ce nouveau tableau.
L’évolution de la pratique de l’architecture vers le recyclage nous a montré que notre monde bâti peut être réaménagé, revitalisé et réutilisé. Récemment, des églises ont été transformées en condos, en salles de spectacle, en restaurants, en centres d’entraînement physique, en spas, en bibliothèques et même en fromageries! Si ces réfections témoignent de la malléabilité des églises, elles les ont parfois dépouillées de leurs composantes d’origine, commercialisé ce qui était autrefois gratuit et rendu exclusif ce qui était accessible à tous.
Ces propositions répondent à des besoins, mais elles sont limitées dans leur capacité à offrir des avantages socialement enrichissants à l’ensemble de la communauté. Ce qui importe n’est peut-être pas de trouver une utilité précise aux églises, mais plutôt de changer le regard que nous portons sur celles-ci et sur la façon dont nous nous les réapproprions. Même si des points de tension persistent autour de questions comme les taxes et la propriété, la valeur des terrains ou le sort à réserver aux églises dans le futur, nous sommes capables de donner un second souffle à ces sanctuaires dans notre contexte culturel actuel.
Fondamentalement, les églises expriment l’identité culturelle d’un lieu par leurs matériaux et leur conception. Elles renferment un patrimoine culturel et artistique qui ne peut plus être reproduit ou qui est trop coûteux à reproduire aujourd’hui. En les conservant et en leur donnant une nouvelle vocation, le talent créatif qui habite leurs murs peut à nouveau rayonner.
Le travail de FLDWRK, le collectif de recherche et de design de Lemay, sur des projets tels que l’Église baptiste Walmer Road, illustrent bien comment des églises historiques peuvent être réhabilitées en un lieu d’intérêt pour la communauté. Ainsi transformées en expériences architecturales et en œuvres d’art, elles peuvent s’inspirer de leur passé de congrégation pour se tourner vers l’avenir et former des espaces communautaires rassembleurs, viables et durables.
Ce type d’approche permet non seulement de préserver l’architecture des églises, mais aussi d’en faire des lieux véritablement inclusifs, axés sur la santé, le bien-être, l’éducation et l’environnement. Il n’est pas non plus nécessaire de s’approprier l’ensemble des lieux, comme le montre Sensory Fragments, un autre projet de FLDWRK. L’église Cœur-Immaculé-de-Marie, située dans l’arrondissement Sud-Ouest de Montréal, a fait don d’une partie de son bâtiment pour y aménager une résidence à conception sensorielle destinée aux adultes vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme.
Parcs, centres communautaires, marchés dynamiques, logements de transition… Les églises reconverties peuvent conserver leur architecture patrimoniale tout en demeurant des lieux de vie, d’échange et de partage. Le rôle communautaire de longue date qu’elles ont joué dans nos sociétés gagne à être préservé au même titre que leur structure physique.
Régions urbaines et rurales : des réalités différentes
S’il y a plus d’une stratégie derrière la réutilisation de ces lieux de culte, il y a aussi plus d’une solution. Dans le cadre du débat sur l’avenir des églises, les milieux ruraux sont généralement laissés de côté, la ville de Montréal faisant souvent la une des journaux. Mais si l’on prend en compte l’ensemble de la province de Québec, sur les 2751 églises répertoriées en 2003, près de 700 ont été détruites, fermées ou recyclées au cours des décennies suivantes, notamment en raison de la baisse de la fréquentation et des ressources monétaires des congrégations, mais aussi des coûts d’entretien qui continuent d’augmenter.
« Les églises font partie de notre patrimoine social. Dans les villages, elles sont souvent le seul bâtiment communautaire, et le legs des gens qui les ont construites », explique Eric Pelletier, associé principal Conception chez Lemay.
L’impact de la disparition des églises dans les petites villes n’est donc pas le même que dans les métropoles comme Montréal. Et même si notre premier réflexe devrait être de les préserver, cette démarche présente des difficultés et soulève la même question : que faire avec ces espaces intacts mais pratiquement vides qui jouent un rôle central pour la population?
Pour M. Pelletier, peu importe la voie choisie, l’humain doit être au cœur de la conception. « Il existe de nombreuses avenues pour la réutilisation des églises. Elles peuvent être réaménagées en résidences pour personnes âgées, en écoles, en hôpitaux ou en bibliothèques. Elles peuvent aussi devenir des cimetières verticaux, afin que la mémoire des habitants d’une ville y soit honorée. »
Qu’ils soient reconvertis en établissements culturels, de soins ou autres, ces sanctuaires nous offrent des possibilités infinies de repenser l’espace. Les bâtiments existants comme les églises, tant en contexte urbain que rural, constituent un terreau fertile pour les projets publics, notamment en raison de leur emplacement centralisé. Conserver les églises de manière à ce qu’elles restent connectées à la communauté est donc essentiel. Leurs caractéristiques les plus marquantes sont ainsi préservées, tandis que l’espace ouvert, lui, peut être revitalisé d’une multitude de façons.
« Même si nous n’arrivons pas à toutes les sauver, la préservation des églises doit être considérée comme une priorité et comme la voie à suivre. Elles sont ancrées dans notre histoire et notre société. Il nous faut non seulement les adapter aux normes d’aujourd’hui, mais aussi revoir le rapport que nous entretenons avec elles », ajoute M. Pelletier.
Rénover plutôt que détruire
Les temps changent, nos valeurs aussi. Lorsque des structures anciennes et dépassées vieillissent – qu’elles soient architecturales ou sociales – nous les laissons parfois tomber en ruine pour pouvoir repartir à zéro. Nous voulons utiliser notre expérience pour accompagner les collectivités vers de meilleures décisions, en prenant des mesures proactives et bénéfiques pour bâtir un monde plus juste, plus inclusif et durable.
Dans le cas des églises, il n’est pas nécessaire de repartir à neuf : elles peuvent et doivent être réaménagées. Elles font partie d’un grand nombre d’édifices patrimoniaux à préserver, non seulement pour leur donner de nouvelles utilités qui profitent à tous, mais aussi pour perpétuer leurs valeurs initiales : l’entraide, la fraternité, l’éducation et l’esprit communautaire.
Si nous voulons voir ce genre de transformations dans nos villes et villages, nous devons nous faire entendre. Lancer des pétitions; s’engager dans notre communauté; demander le soutien des décisionnaires et des architectes. Chacune de ces actions est indispensable pour faire en sorte que des bâtiments comme les églises se voient offrir une seconde vie, pour le plus grand bénéfice des gens et de l’environnement.
Vous aimez ce sujet? Apprenez-en plus sur la façon dont l’architecture et le design peuvent transformer les bâtiments d’hier en lisant l’article d’Eric Pelletier sur l’avenir des bibliothèques.