• 15 décembre 2021

Un article de Gail Shillingford

 

Au cours des dix dernières années, j’ai beaucoup réfléchi à ma façon d’échanger et de collaborer, en tant que designer, lorsque je travaille avec les communautés des Premières nations. J’ai tiré de cette expérience une grande dose d’humilité et d’inspiration. Et même si mon parcours a été parfois cahoteux, j’ai pu bénéficier d’un apprentissage inestimable et enrichissant. En tentant de mieux comprendre ce que signifient réellement la vérité et la réconciliation, l’indigénisation et la décolonisation, mon objectif ultime est de transposer cette expérience à tout ce que j’accomplis en tant que designer et leader dans mon domaine. Le travail que nous accomplissons au quotidien peut faire une différence. Mais il faut d’abord et avant tout s’assurer d’écouter et d’apprendre tout en faisant notre travail. Le design nous offre la possibilité de favoriser la sensibilisation et l’éducation culturelles et de célébrer nos différences. Notre travail peut contribuer à soutenir le sentiment d’appartenance, la visibilité et le développement d’une communauté. Le design est une façon de faire honneur aux Premières nations, tout en faisant équipe avec leurs communautés.

 

Le parcours d’une conceptrice

J’ai d’abord cherché à examiner ma compréhension de ce que signifient vérité et réconciliation. Plusieurs personnes ont une compréhension très limitée de la pensée, des principes et des croyances des autochtones. En tant que designers, notre propre communauté n’a pas encore vraiment pris la peine de comprendre les peuples et la culture des Premières nations, malgré le fait qu’ils représentent notre pays et ses origines. Pour ma part, je me suis vite rendu compte que la communauté des Premières nations parlait depuis toujours de concepts actuels, comme l’inclusion et la durabilité que nous essayons si désespérément d’aborder dans nos propres projets. Ils prennent le temps d’apprécier l’espace, le lieu, le contexte et l’histoire tels qu’ils sont avant même d’en orchestrer le changement. Ils font preuve d’un respect authentique envers la nature et l’environnement. De plus, pour eux, la notion de communauté est au cœur de toute conception. Au fil des conversations, j’ai entrepris de me décoloniser et de déconstruire mes propres croyances. Les modes de pensée britanniques et nord-américains ont dominé nos approches et nous avons malheureusement laissé de côté la manière autochtone de faire les choses.

Le cheminement vers la réparation consiste donc à appliquer cette nouvelle façon de penser à mon approche du design. Pour moi, l’indigénisation signifie réapprendre et accepter ce qui a toujours été, et le comprendre dans le contexte de ce qui nous a été enseigné au profit de la colonisation. Cela signifie, notamment, de reconnaître la validité des visions du monde, des connaissances et des perspectives autochtones. Il s’agit donc d’identifier les différentes formes d’expression autochtone et d’intégrer leurs modes de connaissance et d’action. Toutefois, cette notion est un concept fluide et évolutif qui varie selon la communauté, le lieu et le contexte. Comme les pelures d’un oignon, nous devons retirer chaque couche pour atteindre et extraire la grande sagesse de cette communauté qui a toujours été à notre portée. Les nations autochtones ne nous demandent pas de rejeter la colonisation, mais simplement de respecter l’existence d’un peuple et d’un lieu antérieurs à notre héritage européen. Ce processus de décolonisation peut d’ailleurs aider à révéler la véritable essence de ce que signifie le fait d’être autochtone.

«… Apprendre à voir d’un œil avec les forces et les modes de connaissance autochtones, et de l’autre œil avec les forces et les modes de connaissance occidentaux… et apprendre à utiliser ces deux yeux ensemble, pour le bénéfice commun. » – Albert Marshall, Murdena Marshall & Cheryl Bartlett

 

Dialoguer avec les communautés autochtones à travers le design

Sur cette photo, Gail Shillingford est accompagnée du Chef Amos Key Jr. lors de la célébration Pow Wow à l’Université de Toronto

En tant que concepteurs, notre relation avec les communautés des Premières nations doit continuer à évoluer par le biais de l’engagement, en se familiarisant avec différents processus, en favorisant les relations et les synergies, et en établissant un terrain d’entente. L’inclusion doit être au premier plan du dialogue et notre engagement doit être fondé sur un désir profond d’établir de bonnes relations et de se mettre à l’écoute. Prenons le temps d’apprendre l’histoire du lieu et des personnes et de comprendre les opportunités et les contraintes à travers leurs yeux et leurs histoires. Le concept du cercle est très important, de même que l’approche cérémoniale de l’ordre de parole qui influence la façon dont chacun participe à la conversation. J’ai appris qu’il vaut mieux mettre de côté nos habitudes et les laisser les membres des Premières nations nous diriger et nous guider dans le dialogue. Il faut être prêt à y mettre l’effort nécessaire et à réorienter véritablement notre façon de penser et de concevoir en se fondant sur leurs réactions.

Il est également primordial d’approcher le design de manière pertinente sur le plan culturel. Le symbolisme autochtone est une partie intégrante du design et cela nous oblige à sortir de notre vision colonialiste pour aborder ces symboles. L’orientation de l’environnement bâti ainsi que la structure et la configuration de l’espace ne se conforment pas nécessairement au modèle de développement quadrillé typique de l’Amérique du Nord. Les plans de conception auxquels nous sommes habitués devront probablement être ajustés pour s’adapter à l’orientation de la symbolique autochtone. Le design doit favoriser un sentiment d’appartenance et de communauté. Il doit viser l’inclusion et créer un lieu dans lequel une personne autochtone, ou toute personne appartenant à un groupe sous-représenté, se sent accueillie et acceptée. Les composantes visuelles et matérielles du design peuvent contribuer à établir un lien étroit avec l’espace, mais il faut également être en mesure de visiter un lieu et d’y trouver d’autres personnes qui nous ressemblent. Le lieu doit donner à chaque personne l’impression d’être connectée à ce qu’elle est, à ce qui lui est familier lorsqu’elle le voit et qu’elle le vit. C’est bien plus qu’une simple question de design. Il s’agit d’ouvrir le dialogue à tout le monde.

 

Pour susciter un véritable changement, faites preuve d’engagement. Faites du bénévolat, assistez aux événements de réconciliation, écoutez et partagez vos histoires.

En somme, tout ça est beaucoup plus qu’une simple case à cocher. Les concepteurs doivent s’engager pleinement dans cette voie, comme nous l’avons fait pour les stratégies durables. Nous devons prendre conscience du privilège d’influence dont nous disposons et de reconnaître que nous ne pouvons pas rester en marge de cette conversation. N’est-ce pas incroyable que nous puissions agir à travers notre travail, nous engager et nous réconcilier grâce au design ? Pour exprimer la meilleure façon dont nous pouvons aller de l’avant, un chef très sage m’a dit : « Venez et apprenez à nous connaître. » Faisons tout simplement bon usage du design pour mettre les gens en valeur.

 

Par où commencer ? En consultant la liste de Gail qui nous propose 16 façons de soutenir les peuples autochtones.

 

 

Gail Shillingford

Forte de plus de 25 ans d’expérience, Gail Shillingford détient un solide bagage en matière de design urbain et d’architecture de paysage, une conjugaison de talents qui lui a permis de créer avec succès des environnements bâtis et des espaces ouverts, intégrés et équilibrés. En tant qu’associée, directrice principale de projet, design urbain et architecture de paysage chez Lemay, elle concentre ses efforts sur des projets qui permettent de bâtir des communautés et de créer des espaces publics attrayants, de haute qualité, afin de favoriser la socialisation, l’inclusion, la diversité culturelle et un mode de vie sain. Dans chacune des conceptions qu’elle entreprend, le rôle du domaine public est renforcé au-delà de la création de lieux remarquables, pour en faire un moyen de rassembler les gens, de revitaliser les communautés, d’incorporer la durabilité et la résilience, de même que de concevoir des espaces ouverts en tant que catalyseurs de la vitalité et de la viabilité sociale et économique. En plus de son expérience, Gail anime des forums sur la diversité, l’équité et l’inclusion, tout en poursuivant le développement de ses connaissances des nations autochtones afin de favoriser l’émergence de la vérité et de la réconciliation.