• 6 mars 2025

Imaginez-vous marchant dans une rue à la tombée du jour. Les façades illuminées des commerces projettent une lueur chaleureuse sur le trottoir. Des cyclistes slaloment doucement entre quelques promeneurs tardifs. Un groupe d’adolescents rit autour d’une table de pique-nique dans un petit parc adjacent. Une dame âgée promène son chien en toute tranquillité. 

Cette scène ordinaire cache pourtant un extraordinaire travail de design urbain. Car chaque élément – l’éclairage, la cohabitation des mobilités, la visibilité des espaces, la mixité des usages – contribue à créer ce sentiment de sécurité qui vous permet de profiter pleinement de votre ville. 

Le design urbain ne se préoccupe plus seulement du caractère esthétique ou fonctionnel des lieux; cette discipline joue un rôle crucial dans la protection du bien-être de la communauté urbaine. Cela dit, au fur et à mesure que les villes se densifient et se diversifient, les attentes en matière de protection évoluent continuellement. La notion de protection s’étend maintenant bien au-delà des interactions entre piétons et véhicules et englobe des enjeux variés, comme l’inclusion, la prévention de la criminalité, la résilience face aux catastrophes naturelles et le sentiment de sécurité psychologique. Pour les designers, la sécurité est un sujet complexe, et peut devenir un prisme à travers lequel envisager des manières de rendre le tissu urbain à la fois plus inclusif, résilient et fonctionnel.  

Redéfinir la sécurité urbaine 

Traditionnellement, assurer la sécurité des espaces urbains se limitait à assurer la gestion de la circulation et la protection des piétons. Ce mandat impliquait de veiller à ce que les passages piétons, les feux de signalisation et les trottoirs contribuent à réduire les accidents. Mais le temps a montré que la sécurité doit être définie en des termes plus nuancés et intégrer les dimensions psychologiques et culturelles, sans s’arrêter à la dimension physique. 

Bien sûr, la sécurité physique passe par des mesures concrètes, comme des codes du bâtiment qui contribuent à prévenir les blessures physiques et assurent l’intégrité structurelle des constructions. On pensera aussi à l’approche de prévention de la violence par le design (PVD), qui s’articule à travers des mesures visant à décourager la criminalité – comme un éclairage adéquat, des lignes de vue dégagées ou encore la création d’espaces publics actifs. 

Il importe aussi de favoriser un climat de sécurité au sein de la collectivité. Le design urbain y contribue en concevant des lieux accueillants et inclusifs, ou encore en créant des espaces qui reflètent un véritable esprit de communauté. La conception d’espaces où les gens auront envie de passer du temps est essentielle. Il ne s’agit pas seulement d’assurer la fonctionnalité d’un lieu, mais également son pouvoir d’attraction. À titre d’exemple, des quartiers à usage mixte (résidentiel, commercial, bureaux) permettent une occupation continue tout au long de la journée, une animation procurant un sentiment de sécurité. Dans le même ordre d’idée, le fait de favoriser la mixité sociale en regroupant différents types de logements (sociaux, abordables, locatifs, étudiants, résidences pour personnes âgées) peut encourager la diversité de population et favoriser un tissu social plus solidaire. 

De plus, le design d’espaces publics animés et de pôles commerciaux dynamiques, tout comme la préservation du patrimoine culturel, favorise le sentiment d’appartenance qui, à son tour, renforce la sécurité perçue et réelle. À l’inverse, les grandes places vides peuvent être perçues comme menaçantes si elles ne sont pas animées ou bordées d’activités. 

Élargir nos perspectives en matière de sécurité urbaine 

Alors que les villes prennent de l’ampleur, l’idée d’en garantir la sécurité devient de plus en plus complexe. Or, un design urbain réfléchi rendra les espaces plus inclusifs, fonctionnels et adaptables à des besoins variés en s’intéressant aux aspects suivants : 

  • Inclusivité : le degré de sécurité varie selon le genre, les capacités et l’identité. Le design inclusif a pour objectif d’offrir un environnement sécuritaire à tout individu, en reconnaissant que différents groupes expérimentent l’espace urbain de manière unique. Concevoir des lieux inclusifs, accueillants et sécuritaires exige de multiplier les perspectives à travers lesquelles on envisage ces espaces. Par exemple, le fait de privilégier les façades ouvertes, notamment au rez-de-chaussée, permet de créer une interface dynamique entre la rue et les bâtiments tout en offrant la possibilité de mieux voir et d’être vu. De telles mesures renforcent le sentiment de sécurité, notamment chez les femmes et les groupes sous-représentés. 
  • Espaces partagés et mitigation de la vitesse : dans une trame urbaine dense, il n’est pas toujours possible de segmenter la voie pour ménager des espaces réservés aux piétons et piétonnes, cyclistes, triporteurs, scooters et véhicules motorisés. Dans ce cas, des limites de vitesse plus basse et différents modèles de chaussées partagées viendront contribuer à une meilleure cohabitation. Toutefois, ces solutions risquent de poser des défis pour les personnes vivant avec un handicap, en particulier celles avec un déficit visuel qui peuvent trouver ardu d’y naviguer de manière sécuritaire. La clé consiste à équilibrer les considérations d’inclusion et les aspects pratiques de chaque espace. 
  • Lieux à la fois verts et sécuritaires: les parcs et les espaces verts sont essentiels à la vie urbaine et contribuent à la santé mentale, mais encore faut-il que leur design les rende sécuritaires. Dans cette optique, on pourra par exemple y intégrer des sentiers bien éclairés, des pôles communautaires et des éléments de conception favorisant l’activité physique. Il y a également lieu répondre au besoin de sécurité dans une perspective de résilience aux changements climatiques en envisageant de créer, par exemple, davantage de parcs éponges dans les villes. 
  • Mobilité active et carboneutralité : la mobilité active est un incontournable quand il est question de milieux urbains sécuritaires et durables. Un virage vers des quartiers carboneutres, où la marche est pensée comme le principal mode de transport, aura donc un impact bénéfique. Dans la mesure où les normes de sécurité usuelles sont respectées, en matière d’accessibilité pour les services d’urgence notamment, il est possible d’imaginer des réseaux de chemins et sentiers qui équilibrent mobilité active, sécurité et durabilité écologique.  
  • Coordination et accessibilité : la planification de trajets simples et linéaires entre domiciles, bureaux, commerces, écoles ou garderies et transports en commun permet de réduire le temps perdu et d’améliorer la qualité de vie. Il est tout aussi important de s’assurer que les espaces urbains sont conçus pour les personnes à mobilité réduite, avec un mobilier urbain aligné, des revêtements durables et sans obstacle. Cela inclut l’élimination des nids-de-poule trop nombreux dans le paysage des grands centres urbains comme Montréal. 
  • Prudence technologique : si la perspective d’une ville intelligente recourant à des technologies comme l’IA et des systèmes de surveillance peut sembler une façon efficace de rehausser la sécurité, la prudence est de mise dans ce domaine. Une dépendance excessive à la technologie peut nous mener à négliger la capacité du design à structurer un environnement sécuritaire. L’approche idéale demeure de concevoir des espaces qui favorisent naturellement la sécurité et le bien-être, et qui ne seront pas dépendants d’interventions technologiques perceptibles. À ce titre, il y a lieu de considérer l’intégration d’outils technologiques comme l’éclairage intelligent ou l’utilisation d’applications mobiles qui connectent les citoyens à leur quartier en leur fournissant des alertes et de l’information en cas de problèmes qui les touchent directement. 
  • Flexibilité et évolutivité : de nos jours, la création de lieux adaptables aux saisons et aux besoins évolutifs des usagers est un incontournable. Une voie prometteuse est la conversation de portions de territoire abandonnées ou sous-utilisées en espaces publics capables d’atténuer l’impact des changements climatiques et des écarts de températures inhabituels. L’implication citoyenne sera bénéfique à de telles approches, et ce, en particulier pour des projets de requalification ou d’aménagement temporaire : se mettre à l’écoute de la population favorisera en retour une meilleure appropriation des lieux. 

Une invitation au dialogue continu 

La sécurité urbaine n’est jamais un projet achevé, mais plutôt une conversation continue entre designers, communautés et environnements. Lorsque cette notion est bien intégrée, le design urbain transforme des espaces anonymes en lieux significatifs, tissant ce sentiment d’appartenance qui constitue peut-être la forme la plus profonde de sécurité urbaine. 

Car au fond, une ville véritablement sécuritaire n’est pas celle qui multiplie les barrières et les restrictions, mais celle qui permet à chacun de s’y sentir légitimement chez soi – dans toute sa diversité d’identités, de capacités et d’aspirations. 

La prochaine fois que vous traverserez votre quartier, prenez un moment pour observer ces détails qui, ensemble, créent ce sentiment subtil mais essentiel de sécurité. Derrière chacun d’eux se cache sans doute l’intervention discrète de designers urbains, travaillant à rendre nos villes plus humaines, plus inclusives, et véritablement sécuritaires pour tous.