• 8 mars 2022

Lorsque nous réfléchissons au passé et que nous nous interrogeons sur les perspectives d’avenir, nous constatons que ce sont les gestes que nous posons aujourd’hui qui ont le plus d’impact. En matière d’architecture, la conception de l’espace commémoratif de la place des Montréalaises est l’une de ces actions concrètes qui peuvent apporter un changement positif.

Située à mi-chemin entre le patrimoine historique du Vieux-Montréal d’une part, et le progrès et l’innovation du centre-ville d’autre part, la place des Montréalaises vise à contribuer activement à la transformation des traditions commémoratives de nos villes, tout en établissant un nouveau précédent dans le choix des personnes que nous souhaiterons reconnaître et honorer à l’avenir.

Reconnaissance et appréciation

Ce projet constitue un geste radical et réparateur dans un monde qui a longtemps sous-représenté les femmes dans ses espaces publics et dans l’art public. À titre d’exemple, moins d’un quart des espaces publics de Montréal¹ portent le nom de femmes, tandis que l’art public a toujours été – et continue d’être –  historiquement dépourvu de commandes d’œuvres d’art à des artistes féminines². D’ailleurs, cette situation est loin d’être unique au Canada³. 

Avec la Place des Montréalaises, ce sont 21 femmes qui sont commémorées afin de souligner leurs luttes, leurs avancées et leurs contributions au passé et à l’avenir de Montréal. Cet hommage ne se fera pas en érigeant des statues ou en changeant des noms de rues, mais plutôt en créant un grand pré fleuri urbain composé de 21 bouquets, soit un pour chacune des femmes suivantes.

Les 14 victimes du féminicide de l’École Polytechnique survenu en 1989:

  • Geneviève Bergeron (née en 1968), étudiante en génie civil
  • Hélène Colgan (née en 1966), étudiante en génie mécanique
  • Nathalie Croteau (née en 1966), étudiante en génie mécanique
  • Barbara Daigneault (née en 1967), étudiante en génie mécanique
  • Anne-Marie Edward (née en 1968), étudiante en génie chimique
  • Maud Haviernick (née en 1960), étudiante en génie des matériaux
  • Maryse Laganière (née en 1964), employée au service des finances de l’École Polytechnique
  • Maryse Leclair (née en 1966), étudiante en génie des matériaux
  • Anne-Marie Lemay (née en 1967), étudiante en génie mécanique
  • Sonia Pelletier (née en 1961), étudiante en génie mécanique
  • Michèle Richard (née en 1968), étudiante en génie des matériaux
  • Annie St-Arneault (née en 1966), étudiante en génie mécanique
  • Annie Turcotte (née en 1969), étudiante en génie des matériaux
  • Barbara Klucznik-Widajewicz (née en 1958), étudiante en soins infirmiers

Et 7 femmes pionnières de Montréal :

  • Myra Cree (1937-2005), autochtone d’origine mohawk qui s’est distinguée par son travail dans le domaine de la culture et des communications, notamment en devenant la première femme à occuper le poste de présentatrice de nouvelles au Téléjournal de Radio-Canada.
  • Jessie Maxwell-Smith (1920-2000), enseignante de la Petite-Bourgogne dont le travail en éducation et en développement social a permis à la communauté noire de Montréal d’avoir accès à une éducation de qualité.
  • Agnès Vautier (1896-1976), joueuse de hockey pour le Western de Montréal, une équipe notoirement imbattable en 1917.
  • Ida Roth Steinberg (1885-1942), immigrante juive hongroise devenue femme d’affaires et fondatrice de la première épicerie Steinberg à Montréal.
  • Idola Saint-Jean (1880-1945), féministe québécoise et militante pour le droit de vote des femmes.
  • Harriet Brooks (1876-1933), première femme physicienne nucléaire au Canada.
  • Jeanne Mance (1606-1673), infirmière française qui a cofondé la ville et son premier hôpital, l’Hôtel-Dieu de Montréal.

Connexion et réflexion à travers la place publique et l’art

The meadow on place des montrealaises in Montreal, a design from Lemay

Crédits : Lemay + Angela Silver

En intégrant la force de tous ces noms à même la sculpture et l’emmarchement de la place des Montréalaises, tout en revendiquant un nouveau territoire urbain où ces noms peuvent s’enraciner, le site est à la fois un puissant acte de reconnaissance et un lieu de réflexion. Son pré fleuri commémoratif valorise l’histoire au féminin et donne une visibilité à des femmes – connues, inconnues et oubliées – d’une manière audacieusement publique.« Le site reconnaît et célèbre les femmes à travers le paysage lui-même. Nous avons créé une plateforme pour l’expression de toutes les femmes, pour parler de leurs réalités et susciter des conversations », explique Patricia Lussier, architecte paysagiste et directrice principale de conception de la place des Montréalaises.

C’est un lieu de connexion qui s’étend du cœur de son pré fleuri urbain vers la périphérie de l’espace. Son grand plan incliné, accessible à tous, relie la vieille ville et la nouvelle comme un pont élevé au-dessus d’une voie rapide clivante. Deux hectares d’arbres et de fleurs commémoratives approfondissent le lien entre l’urbain et le naturel, tandis que l’art public présent sur le site invite les Montréalais·es à se rassembler, à réfléchir, à discuter et à comprendre les inégalités du passé et les possibilités futures.

Pour se sentir inclus dans une ville, il faut y être visible.

Dans un hommage sculptural réalisé avec l’artiste canadienne Angela Silver, les noms des 21 femmes sont à la fois présentés dans leur intégralité et fragmentés en lettres. Ce texte s’étend sur toute la longueur d’un imposant cylindre en acier inoxydable poli, de telle sorte que les visiteurs peuvent lire les noms des femmes, mais aussi se voir eux-mêmes dans sa surface réfléchissante. La nuit, la sculpture devient une œuvre d’art nocturne lorsque ses lettres perforées s’illuminent, créant une nouvelle constellation de souvenirs au milieu de la ville.

crédit: Angela Silver

Deux autres montréalaises se joignent à ces 21 femmes : l’une d’elles est l’artiste québécoise Marcelle Ferron dont l’œuvre en vitrail intitulée Verre-écran a été la première pièce d’art abstrait non sculptural commandée par la STM pour le métro de Montréal. Ce splendide vitrail kaléidoscopique enveloppe les fenêtres du rez-de-chaussée de la station Champ-de-Mars.

La présence de la seconde femme s’ajoute par le biais d’une citation de l’historienne et poète Afua Cooper datant de 2006 : « Marie Joseph Angelique an immortal avatar of our liberation ». Ces mots ont été traduits en français et gravés sur le sol du site. L’auteure a souvent écrit sur Marie Joseph Angélique, une esclave noire de la Nouvelle-France née au Portugal.

« Il y a plusieurs façons de commémorer ou de rendre hommage. On peut utiliser des statues ou des noms, mais pour moi, le pouvoir des noms et la pratique de la dénomination sont forts », explique Angela Silver. « C’est une façon d’aborder et de reconnaître les femmes dans la mémoire publique et de valoriser leurs contributions en leur donnant un espace civique égal. »

Un espace de changement

S’inscrivant dans la continuité de l’initiative de la ville de Montréal pour une plus grande reconnaissance des femmes à travers la création de lieux, la place des Montréalaises est conçue pour donner corps à sa vocation : créer un vaste pré durable qui rend hommage à toutes les femmes.

La liste de noms sélectionnés par le Conseil des Montréalaises constitue une belle rupture dans la tradition des sculptures en bronze en trouvant sa place dans un lieu qui incarne l’égalité et l’inclusion. On ne peut nier l’importance de la reconfiguration d’un lieu aussi central dans la ville, explique Angela Silver.

« Donner autant d’espace aux femmes est une affirmation puissante de ce que cet endroit essaie de faire. Ce que Montréal fait en donnant autant d’espace proéminent est hautement idéologique », dit-elle, en soulignant comment le pouvoir du site réside dans son dévouement aux femmes.

« À plus grande échelle, lorsque vous êtes au milieu du site, ajoute Patricia Lussier, vous voyez la nouvelle ville et la vieille cité, vous voyez la sculpture, les vitraux, les escaliers et cela forme différents niveaux d’appréciation et de reconnaissance. »

 

Voyez comment Andrew King, concepteur principal, raconte le projet et son contexte à travers des histoires et croquis.

 

¹ source: Montreal: Confronting the Sexist City – Women Across Frontiers Magazine (wafmag.org)

² source: Women in public art: The Montreal Edition — SHELLEY MILLER (shelleymillerstudio.com)

³ source: Why Are There So Few Monuments That Successfully Depict Women? – The New York Times (nytimes.com)